Le Salon du 2 Roues à Lyon était noté dans mon agenda depuis longtemps. L’idée était très simple : utiliser ce prétexte pour rassembler les copains autour de quelques bières, et emmener les plus courageux avec moi pour brûler de l’essence ensemble. Et c’est ainsi qu’est née la première hivernale officielle des Arracheurs de Bitume.
Le programme classique d’une hivernale c’est de se geler les miches autour d’un feu en picolant de façon scandaleusement excessive, ou pas loin. En tout cas même si ça veut souvent dire que tu dois rouler au milieu des congères pour atteindre le bivouac, cette portion infernale de route est supposée n’être qu’un sale moment à passer et pas le véritable objectif en soi.
Sauf que moi ça me branche pas trop ce genre de programme. Quand je sors ma moto c’est pour rouler, surtout quand ça fait 4 mois que je n’ai pas quitté Paris ! Et pour ce qui est de l’organisation vous commencez à me connaître : mon secret c’est de ne rien prévoir. La seule chose que je sais avant de partie c’est que j’ai 2 ou 3 jours pour rouler, que je serai sans doute accompagné par quelques courageux et c’est tout. La destination reste inconnue jusqu’à la veille du départ. Ce n’est pas pour créer la surprise, entretenir le suspense ou je ne sais quoi. Je n’ai véritablement aucune idée de l’endroit où on ira rouler.
Je pourrais m’astiquer la culasse en te disant que je me laisse porter par la route et que ce qui compte au fond c’est la ride, mec. Non. La vraie raison c’est que quand j’ai uniquement deux jours pour rouler j’ai vraiment pas envie de me taper de la flotte tout le long. C’est la stricte et banale vérité… Alors comme d’habitude je laisse Météo France décider de ma destination le jour J. Je cherche juste le meilleur ratio soleil/virages et en avant !
Le seul vrai hic pendant la préparation de cette hivernale c’est que la météo reste indécise jusqu’au dernier moment. Les prévisions changent tous les jours et oscillent entre « fortes pluies alerte orange » et « éclaircies ». Avec ça on est bien avancé… C’est exactement ce dont tout le monde rêve quand on organise une sortie.
Malgré tous ces rebondissements qui pourrissent la première sortie officielle des Arracheurs de Bitume, il me reste un volontaire : Mathieu. Un motard ardéchois adepte du rallye routier, que vous connaissez sans doute parce qu’il fait partie des Sales Gosses de Vie de Motard.
Sur les conseils des locaux, et après quelques doses de courage liquide, nous prenons la décision totalement irresponsable de quitter Lyon lundi à l’aube et de partir à l’assaut du Haut Jura sachant qu’il y neige au moment-même où nous parlons. Botan (le talentueux dessinateur officiel de VDM) assiste à nos délibérations et nous invite à venir le rejoindre chez lui à Strasbourg. Le reste du programme finit de s’écrire tout seul le plus naturellement du monde : nous traverserons donc le Jura et les Ballons des Vosges pour rejoindre Strasbourg, et le lendemain nous irons rouler tous les trois dans la Forêt Noire. Gros programme en perspective ! Faire un aller-retour à Lyon en passant par la Forêt Noire, c’est le genre de balade qui me plaît !
Le jour J, Mathieu et moi nous donnons donc rendez-vous à la sortie de Lyon. Les premiers rayons de soleil tardent à se montrer et un brouillard particulièrement épais nous accompagne alors que nous longeons les gorges de l’Ain. Paraît que ce genre de purée de pois est typique du coin… Prendre des photos correctes dans ces conditions est un véritable défi mais les premiers paysages dégueulasses font leur apparition.
Ce n’est qu’après avoir pris un peu d’altitude et avoir dépassé Saint Claude que Mathieu et moi pouvons enfin nous réjouir de la fiabilité légendaire de Météo France. Il fait un temps magnifique, pas de pluie à l’horizon et encore moins d’alerte orange ! Et cerise sur le gâteau : le thermomètre s’affole. Rien d’extravagant mais juste ce qu’il faut pour faire disparaître le verglas et faire fondre les quelques restes de neige.
Les routes sont parfaitement dégagées et les premiers lacets m’invitent à commencer à donner un peu de rythme à cette balade. C’est la première fois que je roule au milieu des congères et je dois dire que je ne peux pas m’empêcher de sourire bêtement sous mon casque ! Comme nous sommes en plein milieu des vacances scolaires, les stations de ski sont remplies. Les regards totalement abasourdis des skieurs en voyant deux motos traverser les stations valent à eux-seuls le déplacement… !
Enfin… si je veux être totalement honnête je dois quand même avouer que les portions de route à l’ombre me font totalement flipper car il y reste quelques bandes de neige. Je finis malgré tout par me convaincre que le « mouillé » c’est dans la tête… Mais un tas de neige embusqué me rappelle vite à l’ordre lorsque je me vois contraint de faire un tout-droit pour éviter la chute.
Alors tant pis, j’assume parfaitement de faire ma flipette sur la neige et Mathieu et moi adoptons une conduite tellement « glissé-coulé » que nous faisons péter les records de basse consommation… Je descends à 6L/100 quand Mathieu réussit à faire chuter son VFR 800 à 5L/100. Ces chiffres n’ont sans doute rien d’exceptionnel pour les motos modernes, mais nos bécanes ont 15 ans et je dois dire que je n’ai jamais aussi peu consommé avec mon vieux V-Strom !
Pas besoin d’électronique de pointe ni de norme Euro4 pour rien consommer. Un peu de neige fondue en sortie de virage et le tour est joué ! Et c’est pourquoi cette hivernale s’est officiellement autoproclamée « éco-responsable ».
La jonction entre le Jura et les Ballons des Vosges ne présente pas spécialement d’intérêt jusqu’à ce que nous arrivions au pied du Ballon d’Alsace. L’ambiance est tout de suite donnée. Au feu rouge, un casqué s’arrête à notre hauteur. Une moto de jeune permis sur laquelle se trouve un motard moustachu en âge d’être le (très) grand frère de mon père, qui vient sans doute de s’accorder enfin le plaisir bien mérité de reprendre la moto après de longues années de disette. Il demande à Mathieu avec un énoooorme accent alsacien : -« Vous faites une hivernale? » -« Oui on peut dire ça » -« Vous allez jusqu’où? » -« Strasbourg » -« Mais c’est dans l’autre sens vous devez faire demi tour! » -« Non, on monte jusqu’au Ballon d’Alsace ». Et là c’est le drame. Notre nouvel ami explose de colère et nous dit – ou plutôt nous hurle – qu’on va forcément mourir vu qu’il y a au moins 15 mètres de neige tout en haut. On est de vrais inconscients, on ne sait pas ce qu’on fait de toute façon à ce qu’il paraît.
Face à tant de promesses et surtout à cause de ce petit ton condescendant dont je raffole, Mathieu et moi n’avons plus qu’une envie : grimper tout en haut du Ballon d’Alsace pour de bon. Parce que merde. Voilà. On n’a pas à prouver quoi que ce soit, par conséquent il devient absolument indispensable qu’on le fasse malgré tout.
Et heureusement que nous n’avons pas écouté les conseils de notre Alsacien-Marseillais : les routes sont totalement dégagées, pas la moindre trace de neige ! La pause photo en haut du col est l’occasion de croiser à nouveau des regards étonnés des skieurs, et je fais la rencontre d’un vieux monsieur étonné de nous voir ici en moto à cette période de l’année. Soucieux de ma sécurité, il me conseille de monter des chaînes sur ma moto si je croise de la neige et de surtout bien veiller à les mettre sur la roue avant pour la motricité… –« C’est important sur les moteurs à traction ». Il me fait un grand sourire, me tape sur l’épaule et me souhaite bonne route avant de me quitter… Inutile de polémiquer en piétinant ses bonnes intentions comme un petit con. Je me contente de le remercier et de le saluer en retour.
L’itinéraire que nous empruntons ensuite dans les Ballons des Vosges est de l’impro totale. Pour la première fois de la journée Mathieu décide de me passer devant pour rouler à son rythme. Je vois alors pour la première fois le V-Tech du VFR entrer en action. C’est simple, ça part comme une balle ! En plus Mathieu il a la classe. C’est un mec vraiment gentil donc tu peux pas lui en vouloir, mais quand tu le vois conduire t’as quand même un peu envie de t’énerver. Il entre dans le premier virage en faisant déraper sa roue arrière et il se jette à la corde, comme dans les films ! 30 secondes plus tard il a complètement disparu. Ça faisait déjà plusieurs heures que je le soupçonnais de se faire chier derrière moi mais je n’imaginais pas à ce point… !
Sans le vouloir, nous arrivons dans un secteur des Ballons que j’ai déjà traversé il y a deux ans. Je reconnais même le Lac de Kruth-Wildenstein car c’est à cet endroit précis que mon tout premier vrai roadtrip a pris fin, avant que je ne trace tout droit en direction de Paris.
Je décide donc de montrer la célèbre Route des Crêtes à Mathieu, que l’on peut rattraper très rapidement en montant au Markstein. La route permettant d’y grimper est toujours aussi jouissive que dans mes souvenirs mais je m’aperçois qu’elle recèle une surprise : je ne me souvenais plus que le Markstein n’est pas seulement un col, c’est en réalité une station de ski. Ce n’est pas la première station que nous traversons aujourd’hui mais je remarque immédiatement qu’il y a quelque chose qui cloche. Les regards des gens ne sont pas seulement surpris, pour la première fois ils sont aussi rieurs.
Et pour cause : à la place de la fameuse Route des Crêtes il y a une piste de ski. Ça va être compliqué d’aller plus loin…
Obligé de rebrousser chemin, pas le choix. De toute façon le soleil commence à se coucher et après une telle journée je n’ai aucun problème à reconnaître qu’il est peut-être temps de rejoindre Botan par la route la plus directe. Fini les Ballons, fini la neige. C’était une journée extraordinaire mais les derniers kilomètres de voie rapide remplissent leur rôle sans saveur ni surprise.
C’est la deuxième fois que Botan m’ouvre la porte de chez lui et c’est aussi la deuxième fois que j’arrive totalement KO après avoir avalé des bornes pendant plus de 10h d’affilée. Promis Botan, la prochaine fois je serai en forme !
A côté de sa Ducati Monster rutilante, le V-Strom et le VFR recouverts de sel font un peu tâche. Lorsque Botan inspecte mon Tracteur il me lâche un petit -« Ah mais t’es en Crit’air 4 ??? C’est un vieux diesel ton truc ou quoi ?!! ». Merci, j’ai bien fait de venir ! C’est donc officiel, les Alsaciens sont des gens bizarres qui pensent que je conduis une moto diesel à traction sur laquelle je dois impérativement mettre des chaînes.
A suivre…
2 Responses
Hello Vincent. Voila un nouveau récit bien sympa de votre virée Jurasso-Vosgienne. Bien content pour vous que les conditions météos se soient mises en mode « off » pour cette journée, car la veille, ce n’était pas encore gagné !! Je n’étais pas trop tranquille avec mes modestes suggestions routières parce que l’axe étant un peu direct sur le parcours (particulièrement le Haut Doubs, qui est bien joli mais pas trop tournant dans le sens sud-nord). Les pépites sont ailleurs (pas bien loin) mais il faut aller les dénicher et vous deviez rejoindre les Vosges avant votre étape Strasbourgeoise. Donc pas facile de composer sans tripler le kilométrage de la journée !! Ce qui ne vous aurait pas déplu, j’en suis sûr, mais heureusement, vous avez trouvez à vous faire plaisir et c’est bien la l’essentiel !! Vivement la suite de votre périple sur ton blog ….
Tes suggestions étaient parfaites, merci mille fois !