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Portrait : Fred et son roadtrip en Chine

Rencontre avec Fred qui revient d’un roadtrip en Chine. 6000 km pour un voyage unique et complètement fou à travers le désert de Gobi et le Tibet Autonome. Fred a frôlé la mort, l’hypothermie, il a chuté, il eu droit à un interrogatoire et a été expulsé d’une province… Il nous raconte tout ça dans ce portrait de motard.

Ceux qui se sont déjà penchés sur la question savent à quel point il est compliqué d’aller rouler en Chine. Faire entrer sa propre moto en Chine est un parcours du combattant et exige de casser son PEL. Rouler tout court est déjà très compliqué, et le faire sans chaperon du gouvernement est tout simplement mission impossible quand on est étranger.

Pas la peine de faire les innocents, je sais que je vous prends en plein de délit de faciès ! T’as vu la photo de Fred et tu demandes pourquoi c’est un exploit qu’il soit parti rouler en Chine ? Eh bah Fred il est Français, pas Chinois. Et d’après ce qu’il m’a raconté il a beau faire “couleur locale” c’est pas pour ça que ça a été plus facile pour lui ! C’est peut-être même le contraire… La Chine reste une dictature qui se replie sur elle-même, surtout en dehors des grandes métropoles.

Fred a dû contourner un peu la loi pour faire son roadtrip en Chine. Histoire de ne pas lui attirer d’ennuis je resterai discret sur les détails. Je me contenterai de vous dire qu’il a acheté une moto sur place et qu’il a tracé sans rien demander à personne… Fred vous racontera sans doute cette partie de l’histoire si vous lui payez une bière…

Pourquoi ce voyage ?

C’est la crise de la trentaine. J’ai voulu faire le voyage d’une vie, traverser le désert de Gobi et atteindre le Tibet Autonome à moto. L’idée c’était de goûter à la liberté. J’ai lu “Et j’ai suivi le vent” (Anne-France Dautheville) et j’ai été touché par les chapitres dans le désert et en Alaska. Quand il n’y a personne tu te sens libre, même dans un pays comme la Chine… La Chine est paradoxale, tu n’as pas le droit d’y conduire quand tu es étranger alors que les Chinois peuvent conduire en Europe. Je me disais que ce serait marrant de voir si dans un pays aussi strict tu peux réussir à te sentir libre.

Comment as-tu fait pour acheter la moto ?

J’ai choisi une Benelli BX 250 Motard, c’est la première moto que j’ai trouvée sur internet en descendant de l’avion. J’ai parcouru les forums pour connaître les points faibles parce que même si c’est une marque italienne ça reste une moto chinoise…

J’ai acheté la moto grâce à un local, mais je ne vais pas m’étendre là-dessus car je ne veux pas qu’il ait d’ennui. En une journée et demi on a acheté la moto, fait toutes les démarches administratives et fait toute la préparation.

Il fallait faire vite car l’idée c’était de partir le plus tôt possible. Si je tombais en panne, si j’avais un accident ou si je me faisais arrêter par la police je voulais être sûr d’être allé le plus loin possible avant que tout ne s’arrête. J’étais obsédé par cette idée, chaque kilomètre parcouru était une victoire.

Comment t’es-tu préparé pour ce voyage ?

“Préparé” c’est un grand mot… Je n’ai pas pris d’équipement particulier. Par pessimisme, j’ai opté pour des chaussures de randonnée parce que je me suis dit que ce serait plus pratique pour marcher si je tombais en panne dans le désert.

J’ai emmené le casque et les gants que j’utilise en France, et j’ai acheté une veste de moto sur place. Enfin… si on peut appeler ça une veste de moto… L’équipement moto que tu peux trouver en Chine est très basique. Ils commandent tout sur internet alors on ne trouve pas grand chose dans les magasins locaux. J’ai collé une dorsale dans ma veste et voilà.

Je me suis acheté la même tenue de pluie que les paysans, que je rafistolais tous les jours avec du gros scotch orange. Ce n’était pas calculé mais je crois que c’est grâce à ça que les policiers ne m’ont jamais contrôlé…

Donc tu as préparé tout ton voyage en te disant que tu allais tomber en panne, te faire arrêter, marcher dans le désert… ?

C’est ça ! Je me suis dit qu’il valait mieux se préparer au pire. Et le pire c’est la prison. Alors je me suis préparé psychologiquement à être emprisonné quelques jours puis d’être expulsé vers la France. Je donnais régulièrement ma position à ma famille et avec l’Ambassade française derrière je sais que je ne risquais pas de croupir pendant des mois en prison. Surtout que je n’ai pas fait grand chose de mal… j’ai juste pris une moto et j’ai roulé.

Et au final… que s’est-il passé ?

Je ne suis pas tombé en panne mais j’ai vu la mort en face plusieurs fois. Je suis tombé plusieurs fois dans le désert mais dans le sable tu ne te fais pas mal. En revanche le dernier jour j’ai perdu l’adhérence en doublant. La moto a glissé et j’ai failli passer sous les roues du camion. J’ai eu beaucoup de chance !

Il y a aussi une autre fois où deux camions se doublaient dans un tunnel qui faisait un kilomètre de long, sans éclairage ni ventilation. Déjà tu respires toute la pollution du tunnel et puis au bout d’un moment tu vois quatre phares devant toi. J’ai fait des appels de phare, j’ai klaxonné et tout mais rien à faire le camion continuait à doubler. J’ai dû me jeter contre la paroie pour ne pas me faire écraser. C’était comme ça dans tous les tunnels… C’était pareil dans les virages, il faut toujours rouler le plus proche possible du bord de la route.

Les routes sont-elles si dangereuses que ça ?

Oui. Les autoroutes sont réservées aux voitures, alors tous les autres véhicules roulent sur des pistes défoncées en parallèle des autoroutes. Dans la montagne au Tibet, les routes ne sont pas faites en bitume. C’est une sorte de béton avec une aspérité bizarre… Et la route est constamment mouillée car les camions ont un système qui projette de l’eau pour refroidir leurs freins.

Et il faut savoir que les camions ont une sorte d’assurance en cas d’accident mortel… Et vu que la priorité est toujours donnée au véhicule le plus gros, ils en ont rien à faire des mecs comme moi en moto.

Tu as croisé d’autres motards baroudeurs comme toi ?

Non, c’est interdit pour les étrangers de rouler comme je l’ai fait. Mais il y a des Chinois qui sont motards et qui font des grands voyages en groupe de 5 ou 6 en BMW GS 1200, j’en ai vu plusieurs. Ils vont rouler dans la région de Lhasa au Tibet mais je n’ai pas essayé de m’y aventurer. Cette région est très contrôlée et strictement interdite aux étrangers.

Je n’ai pas croisé d’autres motards étrangers. La seule fois où j’ai croisé des étrangers c’était dans un hôtel pour étrangers.

Et dans le désert de Gobi ?

Non. Les Chinois n’aiment pas aller rouler là-bas, ils trouvent l’endroit trop rude. Il n’y a presque aucune vraie route, il n’y a que des pistes de sable et de cailloux qui sont difficiles et des steppes. Mais moi j’ai adoré je m’y suis senti vraiment libre.

Le truc qui m’a surpris dans le désert de Gobie c’est qu’il y a énormément d’insectes. Je m’étais pas préparé à ça et je n’avais rien lu qui en parlait. Je me souviens m’être arrêté pour fumer une clope et en 2 minutes j’étais entouré d’un nuage de mouches et d’abeilles…

Tu n’as pas eu trop de mal à trouver de l’essence dans le désert ?

Si, il n’y a pas beaucoup de station service… Alors j’avais pris deux jerrycans de 5 litres avec moi même si c’est interdit. Avec la Benelli je pouvais faire 300 km avec un plein, et les 10 litres que j’avais avec moi doublaient l’autonomie donc j’étais tranquille pour l’essence.

Où dormais-tu la nuit ?

En hôtel. J’avais la tente mais je ne m’en suis pas servi, même si j’avais tout ce qu’il y fallait… enfin seulement pendant trois jours, vu que j’ai perdu mon duvet dans le désert.

Vu que tu n’avais pas le droit de rouler sur ta moto à la base, as-tu eu des problèmes avec les hôtels ? Acceptaient-ils de te louer une chambre quand ils te voyaient arriver sans guide officiel ?

Je n’ai eu aucun problème dans le désert de Gobi, mais ça a commencé au Tibet Autonome. En fait quand t’es étranger tu n’as pas vraiment le droit de circuler dans le Tibet Autonome, donc tu ne peux aller que dans certains hôtels qui acceptent les étrangers. Ces hôtels se trouvent seulement dans les villes.

Sauf qu’un soir je me suis fait piéger par le froid dans le Tibet. Il faisait 35° toute la journée mais quand j’ai commencé à grimper il commençait à geler. Les routes étaient à plus de 3000 mètres d’altitude ! Je trouvais ça marrant jusqu’à ce qu’il se mette à neiger. J’avais des gants très légers et qui n’étaient pas étanches…

Je me suis retrouvé coincé et je ne pouvais pas aller jusqu’à la ville que j’avais repérée, où j’aurais pu trouver un hôtel qui acceptait les étrangers. J’ai donc décidé de m’arrêter à 20h dans la première ville que j’ai vue, mais le patron de l’hôtel est venu frapper à ma porte après pour me dire que la police lui avait demandé de me mettre dehors. J’étais embêté parce que soleil allait se coucher et il faisait trop froid pour reprendre la route.

Le patron de l’hôtel était très sympa, il m’a emmené au commissariat pour que j’essaie de négocier. Mais rien à faire. J’ai été retenu plusieurs heures, avec interrogatoire etc. Ils ont photocopié tous mes papiers. Ils ne m’ont pas frappé au moins, c’est déjà ça !

J’ai supplié les policiers, parce que plus ils me retenaient et plus les conditions météo étaient compliquées. J’avais 120km à faire pour atteindre la prochaine ville, de nuit, à 4000 m d’altitude… ils m’envoyaient à la mort. Les policiers ont alors accepté de m’escorter hors de la province.

La route était défoncée, et le phare de ma moto était tellement mauvais que je n’y voyais rien. J’ai même sorti la lampe frontale pour m’éclairer. Je suis arrivé tard dans la ville suivante et j’ai trouvé le seul hôtel qui acceptait les étrangers. Le lendemain je n’ai pas roulé, je me suis reposé et j’ai acheté des grosses moufles.

Et les policiers ne t’ont pas arrêté ?

Non ! Ils étaient tellement focalisés sur le fait que les étrangers n’aient pas le droit de dormir dans cet hôtel qu’ils ont oublié que je n’avais pas le droit de rouler en moto ! Ils auraient pu m’arrêter, j’ai eu de la chance.

Comment se fait-il que la police ait appelé l’hôtel pour que tu partes ? Comment ont-ils su que tu étais là?

La Chine est un pays qui contrôle tout. Quand ils enregistrent ton nom à l’hôtel ils doivent déclarer à la police que tu es là. C’était impossible de contourner ce contrôle dans les hôtels.

C’est pareil dans les stations essence, tu dois donner ton passeport et tout. Officiellement je n’avais pas le droit d’acheter de l’essence mais j’ai pris le temps d’expliquer à chaque fois mon voyage, d’où je venais et où j’allais… J’ai eu beaucoup de chance, à chaque fois j’ai pu acheter de l’essence sans donner mon passeport.

Les gens étaient vraiment gentils avec moi. J’ai pu m’abriter et me réchauffer chez un tibétain. Il m’a même proposé de rester dormir chez lui, mais j’ai refusé parce que je ne voulais pas lui attirer de problème.

Quelqu’un a déjà fait le voyage que tu as fait ?

Je ne crois pas. Il y a 20 ans il y a un Russe qui est allé à Lhasa je crois.

Et il est mort… !

Ouais on ne l’a jamais revu ! Non je ne sais pas…

Plus sérieusement, j’ai regardé les posts sur le forum Horizon Unlimited mais il n’y a rien concernant Chine. J’ai cherché des témoignages pour savoir à quoi m’attendre, mais sans résultat. Je n’ai pas trouvé de photos non plus, rien. La partie recherche a été compliquée.

Si j’avais su que les routes du Tibet culminaient entre 3000 et 5000 mètres d’altitude je me serais équipé autrement. J’ai eu très froid et j’étais mal protégé de la pluie.

Une fois rentré, j’ai parlé de mon voyage avec ma mère et elle m’a dit que j’étais passé à des endroits où presque personne ne va parce que c’est trop dangereux. Et moi j’y suis monté avec une Benelli 250 et un t-shirt !

Quel est ton meilleur souvenir du voyage ?

Il devait être aux alentours de 11h, la route était belle et j’aurais pu croire que j’étais en France si ce n’est des détails qui me rappelaient que je n’étais pas en France, mais bien Chine. Je crois que c’est à ce moment là où j’ai pris conscience que l’aventure avait démarré. Et que je réalisais un rêve qui m’avait semblé inaccessible quelques mois auparavant.

Le mot qui décrit le mieux cet aventure est : une idée folle. En bon bélier, j’ai foncé la tête baissé, sans trop réfléchir. Enfin, si, la semaine précédant le départ j’ai eu des insomnies, du stress, des angoisses et des doutes qui ont submergé mon quotidien. J’en étais même arrivé à me demander si le projet n’était pas trop ambitieux. De toute façon c’était trop tard pour reculer, et puis je n’en avais aucunement envie. J’en étais à un moment de ma vie, où j’avais besoin de cette aventure, de me retrouver seul face à une belle solitude. Et profiter pour faire le point et me confronter à moi même. Ce fut un véritable voyage initiatique où je suis allé trouver ce que je recherchais, et au final j’en ai eu plus qu’espéré.

9 Responses

  1. Je suis admiratif des choses que l’on est capable de s’infliger pour réaliser son rêve. Bravo à Fred. Je n’ai pas cette patience.
    Pour ma part, quand cela devient trop compliqué avec les administrations, l’obscurantisme, la bêtise des fonctionnaires, les règlements liberticides et iniques, je passe mon chemin.
    Ok pour les contrôles de base, police, douanes, émigration, bref de routine, je m’y soumets.
    Je suis un mini aventurier de bac à sable, moins je vois d’uniformes crétins qui appliquent des règles imbéciles, mieux je me porte.
    Je ne verrai pas toutes les terres, mais je n’aurai de toute façon certainement pas assez de ma vie pour voir ce qui est relativement accessible.
    Philippe

    1. Je suis du même avis que toi, il y a déjà bien assez de raisons pour finir en prison chez nous… c’est pas pour aller chercher les emmerdes ailleurs !

    2. Merci Philippe.
      Disons que je suis parti avec l’idée d’explorer la liberté. Et peut être naïvement j’ai pensé qu’on est libre de faire ce qu’on veut et évidemment toujours avec la conscience le faire avec de bonnes intentions.
      Fred

  2. Je suis admiratif du voyage de Fred, pas tellement parce qu’il est allé rouler dans des zones interdites ou compliquées, non, plus simplement parce qu’il a réalisé un de ses rêves, et ça mérite toute mon admiration!

    Ceci dit, je vous rejoins tout à fait Phil et Vincent, il y a tant d’endroits moins compliqués et moins risqués à découvrir que je me contenterai de ceux-là

  3. C’est un interview bien mené et captivant à lire (2 fois déjà).
    Je me demandais juste si Fred parlait le chinois ??
    Vue les discutions assez tendues avec les autorités et des règlements incompréhensibles pour nous, la barrière de la langue ne peut que rajouter une dose de stress dans ces situations critiques…

    1. Salut Oli Goujon,
      Oui je parle le mandarin mais je ne le lis pas.
      Certaines régions ont leur propre dialecte, et c’est très très compliqué à les comprendre, notamment pour leur demander si la route est praticable ou pas.

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